CHŒURS EN SEINE

Guide d'écoute du concert dU 22 JUIN 2019

Dans le programme du concert des Chœurs en Seine à la Mairie du Xe, la première partie est assurée par un quatuor vocal avec soliste (soprano) qui interprète deux œuvres de Mozart.
Le « Miserere nobis » est le dernier morceau des Litanies du Saint sacrement écrites à Salzbourg en 1776. Cette œuvre est assez peu connue. C’est pourtant une musique d’église impressionnante. Mozart y répète la phrase « Miserere nobis » avec une douleur poignante.
Le très célèbre « Laudate dominum » date de la même période (1780). C’est le dernier des cinq psaumes des Vêpres. Il débute par un long solo de la soprano. Ce solo est d’une grande pureté et d’une grande intensité. Il est repris par le chœur. Soliste et chœurs se retrouvent dans l’« Amen » final.

Ständchen de Schubert (écrit sur une poésie de Franz Grillparzer) a été composé en 1827 pour chœur d’hommes et arrangé pour chœur mixte par P. Caillard. Les voix de la soliste et du chœur se répondent, s’entremêlent, bercées par le rythme des doubles croches au piano. L’ambiance est feutrée, mystérieuse, tour à tour légère et passionnée. La poésie est magnifiquement servie par la musique et les mots eux-mêmes sont empreints de sonorité :

Hésitant doucement,
Dans l’obscurité tranquille de la nuit,
Nous sommes là,
Et le doigt délicatement recourbé,
Doucement, nous frappons à la porte de la bien-aimée.
Maintenant, soulevés, exaltés, emportés,
D’une même voix, qui monte, enfle,
Nous crions confiants : Ne dors pas,
Quand l’inclination amoureuse se fait entendre !
De par le monde, un sage cherchait
Des hommes avec une lanterne.
Combien plus rares que l’or
Sont les personnes qui nous sont attachées,
Aussi, quand l’amitié s’exprime, l’amour s’exprime,
Amie, aimée, ne dors pas.
Pourtant, dans tous les royaumes,
Que peut-on comparer au sommeil ?

La deuxième partie du concert des Chœurs en Seine débute par un programme a capella datant essentiellement de la Renaissance. Le thème de l’eau, qui inspira les musiciens et les poètes depuis la nuit des temps, se retrouve dans les deux très beaux extraits de Paschal de l’Estocart (texte du pasteur A. de Laroche-Chandieu). La glace, luisante et belle, et L’eau qui s’écoule symbolisent la vanité et l’inconstance du monde et donnent lieu à d’étonnants figuralismes (*). L’eau est présente également dans La Lola (1997) de Dante Andreo, d’après un extrait de Cantos del fuego de F.G. Lorca : « Elle lave sous l’oranger… l’eau de la rigole était pleine de soleil… ».

Les autres chants célèbrent l’amour : Come again, sweet love doth now invite est à la fois une « chanson de luth » et un madrigal. Ce chant exprime à la manière raffinée et en même temps douce-amère de Dowland les tourments de l’amour, tandis que Bonjour mon cœur avec ses alternances d’écriture verticale et son inventivité rythmique suit au plus près le poème de Ronsard. Il est bel et bon est à juste titre un « tube » dans le style des Chansons parisiennes de Janequin. Avec ses entrées en imitation, ses jeux de voix et de rythme et ses savoureuses onomatopées, il décrit un amour plus prosaïque : celui qu’éprouve la « commère » pour son mari. Monteverdi est le musicien de la transition de la Renaissance vers le baroque et Orfeo (1607) est connu pour être le tout premier opéra. Ce premier chœur décrit la joie, la légèreté et la danse. Il alterne le binaire et le ternaire, les voix en entrées successives et l’écriture homorythmique. Il est suivi d’une ritournelle instrumentale. Dans le mouvement lent du Concerto pour flûte de Vivaldi (ici avec quatuor à cordes), la cantilène de la flûte est mise en valeur par les accords réguliers des cordes, l’ambiance est mélancolique et intime.
Nach dir, Herr, verlanget mich est une cantate du jeune Bach (1707). Sa particularité est l’absence de choral et la grande place accordée au chœur. L’écriture est riche et variée et utilise souvent des figuralismes (*) mettant en relief des aspects du texte. Ainsi, dans ce premier chœur, les chromatismes descendants : De toi Seigneur je me languis. Le Magnificat de Bach (1723) décrit la joie de Marie à l’Annonciation, Quia fecit mihi magna : « Car celui qui est tout-puissant fit pour moi de grandes choses… » est un chant de louange, plein d’humilité, très vocalisant, en dialogue constant avec le violoncelle. Dans le chœur See, see we assemble tiré du semi-opéra King Arthur, Purcell reprend la technique d’écriture utilisée par Lully dans Le chœur des trembleurs. Le chœur des prêtresses Ô Diane sois-nous propice intervient au quatrième acte de l’Iphigénie en Tauride. Iphigénie s’apprête à sacrifier un homme qui n’est autre que son frère Oreste, qu’elle ne reconnaît pas. Ce chœur à deux voix porte toute l’expression dramatique propre à Glück. « Placido è il mar » est tiré de Idoménée, roi de Crète. Mozart, au sommet de son art, s’inspire de la tragédie lyrique de Glück par la puissance expressive des chœurs. Cette pièce, tout de calme et de sérénité, en­cadre un très bel aria de soprano Soavi zeffiri (joué ici par le clavier). L’oratorio Belshazzar (1744) de Haendel a été redécouvert récemment par William Christie. Recall, O king, thy rash command  : « Révoque, Ô roi, ton ordre téméraire » est un chœur à cinq voix d’une grande puissance. Il évoque la colère des juifs à l’égard de Belshazzar s’apprêtant à boire dans le vase sacré volé dans le Temple de Jérusalem. À la différence de celui de Monteverdi, Glück fait commencer son Orphée et Eurydice (1762) après la mort d’Eurydice. Orphée et le chœur se lamentent près du tombeau d’Eurydice : « Ah dans ce bois tranquille et sombre ». Dans l’espoir de retrouver Eurydice, Orphée pénètre aux Enfers et est poursuivi par les Furies : « Quel est l’audacieux qui dans ses sombres lieux ose porter ses pas ». C’est avec cette œuvre que Glück porte un juste intérêt à la véritable expression dramatique qui le conduira à réformer l’opéra.

Les deux derniers chœurs sont de la musique sacrée de styles et d’époques très différents.

Domine non secundum « Seigneur ne nous traite pas selon nos péchés » de Franck est à l’origine écrit pour trois voix et a été récrit pour quatre voix par P. Caillard. Il est largement inspiré du chant grégorien : modalité, flexibilité de la ligne vocale. Il donne la part belle à la voix de ténor.

– Dans l’Alleluia extrait de la cantate « Der Herr ist mit mir », Buxtehude fait dialoguer instrumentistes et chanteurs sur une série immuable d’accords avec une inventivité rythmique et mélodique sans cesse renouvelée.

(*) Le figuralisme ou madrigalisme est un procédé musical qui permet d’évoquer une idée, une action, un sentiment ou encore de dépeindre une situation. Ce goût descriptif existait déjà au Moyen Âge mais il devient une pratique courante à partir du XVIe siècle.

● ● ●  Dernière mise à jour : le 22 septembre 2021 – Lucie Ferrandon – Guy Declercq