CHŒURS EN SEINE
Guide d'écoute des concerts des 15 et 16 AVRIL 2023
MUSIQUE ET CHŒURS AUTOUR DE FAURÉ
Ce guide est une introduction à l’écoute du concert des Chœurs en Seine : Musique et chœurs autour de Fauré (Paris et Sevran, les 15 et 16 avril 2023).
Direction : Lucie Ferrandon.
Les Djinns, op.12 de Gabriel Fauré
C’est une œuvre vocale où l’on peut entendre un chœur mixte à quatre voix. Une mesure à 4 temps binaire (C), perçue avec une pulsation à la blanche. La tonalité de départ est fa mineur. L’œuvre est en forme d’arche. Du poème de Victor Hugo, Fauré utilise onze strophes organisées de manière symétrique : les vers de la première ont le même nombre de pieds que ceux de la dernière, la deuxième a un lien analogue avec l’avant-dernière, etc. Les strophes 5 à 7 constituent « le pivot » ou l’axe de symétrie. Soyez attentifs à cette symétrie qui se traduit aussi dans la puissance sonore et la richesse de la formation instrumentale. Le terme djinn est un emprunt à l’arabe. Il désigne un être intelligent, généralement malfaisant, qui apparaît sous différentes formes (définition : le Robert). Il pourrait, en tout cas, influencer l’âme humaine. L’œuvre est représentative de l’orientalisme en vogue en France au XIXᵉ siècle et particulièrement dans le romantisme.
Écoutez la première strophe confiée aux altos : les notes détachées, le son haletant, l’ambitus réduit à la tierce, les chromatismes : Murs, ville et port / a-sile de mort…
Le Cantique de Jean Racine, op.11 de Gabriel Fauré
Nous sommes en 1865, Fauré a 19 ans et il va décrocher au concours de sortie de l’école musicale religieuse Niedermeyer un premier prix de composition avec Le cantique de Jean Racine. Cette pièce dédiée à César Franck est écrite pour chœur à quatre voix mixtes (sopranos, contraltos, ténors et basses) et orgue. Fauré la transcrit bientôt pour harmonium et quintette à cordes (un an plus tard) et une version pour chœur et orchestre verra le jour en 1905.
Le texte de Jean Racine est l’une des paraphrases des Hymnes traduites du bréviaire romain (ici l’hymne Consors paterni luminis, pour les matines du mardi, attribué à saint Ambroise). Il est rédigé en 1688.
Le Cantique de Jean Racine est un andante (la noire est à 80) où le chœur entre pupitre par pupitre. Après un pont instrumental (à partir de la mesure 40), d’une rare intensité expressive, la mélodie retrouve progressivement son caractère initial, mais elle est transfigurée. Si l’œuvre est marquée par l’influence de Liszt et de Gounod, il s’en dégage une sensualité très particulière. Le langage est clair et, comme dans toutes les œuvres qui suivront, l’émotion est particulièrement contenue.
C’est l’une des œuvres interprétées à Nice le 14 juillet 2017 lors de l’hommage aux victimes de l’attentat du 14 juillet 2016. Durée d’exécution : 5 minutes.
Observez les différentes entrées des voix : basses, ténors, contraltos, sopranos. Comme les chanteurs, soyez attentifs aux indications de la cheffe de chœurs… Attention, cela va très vite !
La Pavane, op.50 de Gabriel Fauré
La Pavane est dédiée à la comtesse Elisabeth Greffulhe, née Élisabeth de Riquet de Caraman-Chimay, fille aînée de Joseph, 18e prince de Chimay. L’œuvre constitue un véritable « portrait musical » de la comtesse, célèbre pour sa beauté, son élégance, son érudition, sa passion pour la musique (elle fut l’élève de Franz Liszt) et… sa démarche aérienne. Fauré l’appelle « Madame ma Fée ». Bref, elle incarne à elle seule le Tout-Paris de la Belle Époque et inspire à Marcel Proust son personnage de la duchesse de Guermantes. C’est à sa demande que Fauré ajoute une partie pour chœur mixte sur un texte de Robert de Montesquiou-Fezensac, cousin de celle-ci, poète à ses heures, « dandy insolent » qui aurait aussi servi de modèle à Proust pour le baron de Charlus. La Pavane de Fauré (qui est contemporaine de son Requiem) inspira la Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel, écrite alors que ce dernier était encore l’élève de Fauré au Conservatoire de Paris. Camille Saint-Saëns a composé lui aussi deux pavanes extraites de ses opéras Proserpine et Étienne Marcel. La pavane est, au départ, une danse de cour lente du XVIᵉ siècle. Elle est dansée près du sol par des couples disposés en cortège.
Une mesure en 4/4, trois dièses à la clé, on est en Fa# mineur. C’est un andante molto moderato. Réglez votre métronome avec une noire à 84 et c’est parti. La première mesure est pour les violons qui jouent en pizzicati tandis que les violoncelles (eux aussi en pizzicati) marquent le premier et le troisième temps… À la deuxième mesure, les flûtes entament cette merveilleuse mélodie que l’on n’est pas prêts d’oublier. Car c’est bien l’objectif : faire en sorte que nous sortions du concert avec cette mélodie en tête, que nous soyons capables de la chanter, peut-être même de la reproduire sur un clavier… La recette ? Elle est simple et commune à tout apprentissage : répéter, répéter, mais pas n’importe comment !
Nocturne n° 3, op. 33-3 de Gabriel Fauré
Le 3e Nocturne (en la bémol majeur) est composé en 1883. Il fait partie de ces pièces largement influencées par Chopin, dont Fauré va commencer à abandonner le climat romantique pour l’effusion sonore et les harmonies enivrantes dont il a le secret. La pièce a une structure tripartite ABA. La mélodie commence avec un accompagnement syncopé à la main gauche. Une partie intermédiaire expose un thème dolcissimo qui se métamorphose en éclats de passions. Le retour de la section d’ouverture est conclu par une coda douce qui introduit de nouvelles subtilités harmoniques. Nous ne sommes plus dans le romantisme, mais plutôt dans une « expressivité fin-de-siècle, bien française dans l’élégance de ses épanchements comme dans sa réserve ». Nous sommes dans le clair-obscur fauréen, la demi-teinte, ce que Jankélévitch appelait « l’esthétique de l’indistinction ».
Ce nocturne est dédié à Madame Adèle Bohomoletz, née à Moscou, fille du marchand belge Philippe-Joseph Depret, dont le magasin de vins et de cigares de la rue Petrovka est mentionné dans les œuvres de Tourgueniev, Tolstoï et Tchekhov. Encouragée par Tourgueniev, Adèle rédige, dans un français limpide et très nuancé, une traduction d’Anna Karénine, qui est publiée chez Hachette en 1885 (sans indication du nom du traducteur) et fait autorité pendant plus de 50 ans sur le marché français de l’édition. Fauré la rencontre lors d’un de ces dîners qu’elle avait coutume d’organiser dans sa résidence à Paris.
Canzonetta, op.19 pour clarinette et piano
de Gabriel Pierné
La Canzonetta a la forme d’une valse. Elle est composée entre 1887 et 1889. Pierné a 25 ans. La pièce est dédiée au clarinettiste Charles Paul Turban (qui est avec le flûtiste Paul Taffanel le fondateur de la Société de musique de chambre pour instruments à vent). C’est une pièce de salon charmante en forme de valse : arpèges, demi-teintes intimistes, son feutré. La seule pièce pour clarinette et piano du compositeur, qui en a réalisé plusieurs adaptations : pour flûte, violon…
Notre enregistrement de référence : Ronald van Spaendonck et Alexandre Tharaud, French music for Clarinet and piano, Harmonia Mundi, 2011. De très belles versions aussi avec Louis Cahuzac ou Walter Boeykens…
« Rebecca » de César Franck
C’est au début de l’année 1881 que César Franck finit de composer l’oratorio biblique « Rébecca » pour solistes, chœur et orchestre. L’œuvre s’inspire de la Genèse et raconte la rencontre d’Eliezer, messager d’Abraham, avec Rebecca, future épouse d’Isaac. Elle est très applaudie lors de la création le 15 mars à Paris, à la salle Herz (au 38 devenu 48 rue de la Victoire, au sein de la manufacture du pianiste et compositeur Henri Herz). César Franck accompagne les chœurs au piano.
Deux chœurs sont interprétés ici : Sous l’ombre fraîche des palmiers, pour voix de femme et le Chœur des chameliers, pour voix d’homme.
La musique expressive, presque figurative, met en valeur le texte poétique et joue sur la séduction de l’orient.
« Les chansons des roses », de Morten Lauridsen
Morten Lauridsen est un compositeur américain d’ascendance danoise (il est né en 1943 à Colfax en Californie). Il a été professeur de composition à l’école de musique Thornton de l’Université de Californie du Sud et président du département de composition. Il est l’un des compositeurs américains de musique chorale le plus souvent chantés. Ce qui le rattache à Fauré, ce sont ses harmonies colorées par l’ajout de notes étrangères avec une véritable « signature harmonique ». L’écriture subtile des deux premiers chœurs, toute en ruptures, forme un contraste avec le dernier (« Dirait-on… »), qui ressemble davantage à une chanson avec couplets et refrain.
« Les chansons des roses » sont composées en 1993 sur des poèmes de Rainer Maria Rilke. Nous entendrons successivement : De ton rêve trop plein, La rose complète (petit chœur a capella) et Dirait-on (grand chœur accompagné au piano).
Le pas d’armes du Roi Jean, de Camille Saint-Saëns
La pièce est écrite sur un poème de Victor Hugo tiré du recueil : Les Orientales.
L’arrangement pour chœur à quatre voix est d’Hubert Cropsal. Le baryton soliste est Nicolas Nelson.
À l’origine, il s’agit d’une fantaisie pour baryton et orchestre. Saint-Saëns la compose en 1852 (il a 17 ans) sur le texte éponyme de Victor Hugo. La pièce est écrite en fa mineur. Mesure en deux temps. Allegro con spirito.
La musique très descriptive adopte le ton de l’épopée, avec de brusques contrastes harmoniques, de tempo, des ostinatos rythmiques qui évoquent le choc des épées, la cavalcade, l’amour, la religion…
« Fauré est adolescent lorsqu’il rencontre Camille Saint-Saëns venu enseigner le piano à l’École Niedermeyer ; entre le maître et l’élève, que dix années seulement séparent, s’établit un climat de confiance et d’affection qui ne s’altéra jamais durant les soixante années que dura leur amitié. »
Jean-Michel Nectoux, Correspondance entre Camille Saint-Saëns et Gabriel Fauré, soixante ans d’amitié, Société française de musicologie, éd. 1994.
Portefeuille de lectures
Jacques Bonnaure, Gabriel Fauré, Actes Sud | Classica, 2017
Jacques Bonnaure et Jean-François Heisser, Saint-Saëns, Actes Sud | Classica, 2017
Jean-Luc Caron et Gérard Denizeau, Camille Saint-Saëns, éd. Bleu Nuit, 2014
Joël-Marie Fauquet, César Franck, éd. Fayard, 1999
Joël-Marie Fauquet, Dictionnaire de la musique en France au XIXᵉ siècle, éd. Fayard, 2003
Jean-Jacques Griot, Écouter la musique classique, ça s’apprend, Eyrolles, 2022
Vladimir Jankélévitch, Le Nocturne, Fauré – Chopin et la nuit – Satie et le matin, Albin Michel, 1955
Jean-Michel Nectoux, Gabriel Fauré, les voix du clair-obscur, Fayard, 2008
Jean-Michel Nectoux, Correspondance, suivie des Lettres à Madame H., Fayard, 2015
Jean-Michel Nectoux, Correspondance entre Camille Saint-Saëns et Gabriel Fauré, soixante ans d’amitié, Société française de musicologie, éd. 1994.
Sources numériques : Wikipédia, musicologie.org.
Ce guide est réalisé par Guy Declercq
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